Ces vivres sont à disposition des personnes en difficulté dans la montagne
Mais, dis-moi donc, qui sont ces errants, un peu plus fugitifs encore que nous-mêmes ?
Rainer Maria Rilke, Cinquième des Élégies de Duino.
Je ne me serais pas arrêté sur les photos de Jacques montrant une maison en pierre qui semble abandonnée avec des vêtements derrière une fenêtre, quelques restes alimentaires, si Jacques ne les avait accompagnées de ce message :
Cette cabane se trouve dans les Alpes, au col de l’Échelle à 1762 m d’altitude, à la frontière entre la France et l’Italie, entre Briançon et Bardonnechia. C’est un lieu de passage de migrants, en grande majorité des Africains. Ils viennent à pied, y compris en hiver.
Entre 2018 et 2020, une forte répression s’est abattue sur eux. La police renforcée par la gendarmerie nationale les reconduisait à la frontière italienne. Le groupe Génération identitaire d’extrême droite a bloqué l'accès au col pendant un week-end.
Pendant ces mêmes années, est apparu le concept de « délit de solidarité ». Des personnes ont été arrêtées et inculpées pour avoir aidé ces migrants, par exemple en les prenant en stop. Une journaliste suisse qui faisait un reportage a cet endroit a aussi été embarquée par la police, il y a eu un article dans le quotidien Le temps de Genève.
L’intérieur de la cabane est très obscur. Dedans, il y a des vivres et des vêtements qui ont été déposés par des personnes anonymes pour ces migrants, ce terme n’est pas utilisé sur l’affiche écrite à la main et destinée aux non-migrants de passage, leur recommandant de respecter ce qu’ils y trouvent : « pour le secours des personnes qui se trouveraient en difficulté en montagne ».
Il y avait beaucoup de vêtements ce jour-là. Nous en avions apporté il y a quelques années.
Dernier point : au moment où je remontais dans la voiture, une voiture de gendarmerie est arrivée et s’est garée de l’autre côté en face de la cabane.
À part ça, c’est un magnifique endroit de pique-nique les week-ends en été. S’y retrouvent des familles françaises et italiennes.
En grossissant les photos de Jacques, je déchiffre le message complet au-dessus du pot de Nutella et des conserves :
Ces vivres sont à disposition des personnes en difficulté dans la montagne
Merci de les laisser à leur place
La mairie
Au cours du mois de septembre 2024, l’actualité associée au col de l’Échelle et à ma découverte de cette maison sur les photos est plus riche que je ne le prévoyais :
Pendant la semaine du 16 au 23 septembre, l’association de préservation de la montagne, Mountain Wilderness, a ramassé au col de l’Échelle deux tonnes de matériel militaire datant de la Seconde Guerre mondiale. Ces vestiges comprenaient des cornières avec une base scellée dans le béton et d’anciennes lignes de barbelés italiennes. Elles étaient dangereuses pour les promeneurs, et aussi pour la faune sauvage.
Les 11 et 12 septembre, le milieu sportif de la montagne et l’association Tous migrants joignent leurs efforts. Une slackline est tendue sur 500 mètres. « Cette ligne est symbolique », précise un porte-parole de l’association dont les banderoles ont été suspendues dans les airs pour le tournage du film Passages. Il mettra en perspective deux réalités – le sport et la migration – dans un même espace.
Le 23 septembre, le nouveau ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau déclare que son objectif est de « mettre un coup d’arrêt aux entrées illégales » et « augmenter les sorties ».