J’ai mis longtemps à saisir ce qui, dans cette photo, m’interpellait. Face à cet arbre dénudé, seul, immensément seul, qui tient debout, qui tient face aux vents, levant le bras, la main, le doigt, disant, me disant que je cherche tout le contraire de cette photo, tout le contraire de l’isolement et la solitude.
Je cherche une photo qui n’existe pas. Une photo avec des personnes qui se tiennent par la taille, ou des personnes qui se regardent, qui sont attentionnées, qui aiment les autres.
Je ne cherche pas une photo d’isolement social. Qu’est-ce qui a arrêté Jacques, au point de sortir son appareil photo, de viser l’arbre, de cadrer, d’appuyer sur le déclencheur, de faire figurer la photo dans la collection intitulée Hautes-Alpes?
La photo qui n’est pas visible dans les collections publiques de Jacques existe dans une enveloppe qui est rangée derrière moi, dans la bibliothèque. Une photo qu’il a prise lors d’une de nos rencontres au bord du lac d’Annecy. Elle a été réalisée en noir et blanc sur support argentique, autant dire selon une méthode aussi ancienne que l’arbre aux lourdes branches, mais qui connaît un regain d’intérêt chez nombre de photographes, dont lui. Le processus est long. Il me la donnera plusieurs semaines après, une fois développée et fixée sur un support papier. Une photo où nous figurons tous deux sur fond de montagnes, la plus éloignée est enneigée, sa base est masquée par une première rangée de collines recouvertes d’arbres. Leur densité est élevée. Ces arbres sont si proches les uns des autres que leurs racines s’enchevêtrent, ce réseau sous-terrain les tient tous ensemble. À l’inverse de l’arbre isolé (j’ai failli écrire : de l’arbre désolé). Et à l’image de ce que j’aime : des arbres solidaires, qui se tiennent et se soutiennent.
Hors cadre, C. qui partage sa vie prend la photo. Dans le cadre, S. qui partage la mienne a passé son bras autour de mon épaule.
Une banale photo souvenir. Une photo d’amitié et d’amour, d’amour et d’amitié.
Je cherche une photo qui n’existe pas. Une photo avec des personnes qui se tiennent par la taille, ou des personnes qui se regardent, qui sont attentionnées, qui aiment les autres.
Je ne cherche pas une photo d’isolement social. Qu’est-ce qui a arrêté Jacques, au point de sortir son appareil photo, de viser l’arbre, de cadrer, d’appuyer sur le déclencheur, de faire figurer la photo dans la collection intitulée Hautes-Alpes?
La photo qui n’est pas visible dans les collections publiques de Jacques existe dans une enveloppe qui est rangée derrière moi, dans la bibliothèque. Une photo qu’il a prise lors d’une de nos rencontres au bord du lac d’Annecy. Elle a été réalisée en noir et blanc sur support argentique, autant dire selon une méthode aussi ancienne que l’arbre aux lourdes branches, mais qui connaît un regain d’intérêt chez nombre de photographes, dont lui. Le processus est long. Il me la donnera plusieurs semaines après, une fois développée et fixée sur un support papier. Une photo où nous figurons tous deux sur fond de montagnes, la plus éloignée est enneigée, sa base est masquée par une première rangée de collines recouvertes d’arbres. Leur densité est élevée. Ces arbres sont si proches les uns des autres que leurs racines s’enchevêtrent, ce réseau sous-terrain les tient tous ensemble. À l’inverse de l’arbre isolé (j’ai failli écrire : de l’arbre désolé). Et à l’image de ce que j’aime : des arbres solidaires, qui se tiennent et se soutiennent.
Hors cadre, C. qui partage sa vie prend la photo. Dans le cadre, S. qui partage la mienne a passé son bras autour de mon épaule.
Une banale photo souvenir. Une photo d’amitié et d’amour, d’amour et d’amitié.
L’arbre-squelette avec sa branche principale horizontale, ses branches verticales, l’une petite et l’autre longue, défie la nature et la pesanteur. Il m’incite à lui donner la parole : « J’étais aimé par un berger et son troupeau de moutons, par son chien aussi. C’était il y a bien longtemps, quand on se reposait contre moi. On me choyait, on me parlait. Animaux et humains me racontaient leurs malheurs et leurs joies. Puis ils ont déserté pour des raisons économiques, les uns sont partis à l’abattoir, les autres vivent dans des villes. » Une histoire commune au siècle dernier.
Le tout est de ne pas se figer, prendre la posture de cet arbre aux branches dénudées, seul face au monde, le lot de tant de personnes quand elles vieillissent.
Mais il tient encore debout, l’espoir est permis, il échapperait à son sort si quelqu’un venait planter des arbres. Comme dans la nouvelle de Jean Giono, L’homme qui plantait des arbres écrite en 1953. Comme dans le film de Wim Wenders réalisé en 2014, Le sel de la terre, le photographe Sebastião Salgado a contribué à la reforestation de la région de son enfance.
Le tout est de ne pas se figer, prendre la posture de cet arbre aux branches dénudées, seul face au monde, le lot de tant de personnes quand elles vieillissent.
Mais il tient encore debout, l’espoir est permis, il échapperait à son sort si quelqu’un venait planter des arbres. Comme dans la nouvelle de Jean Giono, L’homme qui plantait des arbres écrite en 1953. Comme dans le film de Wim Wenders réalisé en 2014, Le sel de la terre, le photographe Sebastião Salgado a contribué à la reforestation de la région de son enfance.
Voilà plus précisément ce que la photo de l’arbre a suscité : la lutte contre la perte. Un sujet que je traîne et qui a été ravivé quand je me suis déplacé encore une fois d’un continent vers un autre, d’Amérique du Nord vers l’Europe il y a seulement un an. Depuis, les liens de part et d’autre de l’Atlantique se transforment, certains se distendent, d’autres se resserrent, j’ai beau lutter contre le phénomène je le connais trop bien, il est redoutable, je ne m’y habitue pas. J’aimerais écrire que l’évolution des liens est extérieure à nous, ce n’est pas tout à fait vrai, elle m’incombe en grande partie puisque j’impose un éloignement (il existe une exception : une amitié s’est établie indépendamment de nos positions géographiques, celle avec Allan : en ce moment nous sommes à neuf mille cinq cents kilomètres et neuf fuseaux horaires l’un de l’autre, ce qui ne nous empêche pas d’avoir des échanges fructueux).
Développer des façons de vivre l’amitié, c’est ce que nous faisons ici, Jacques et moi, en intriquant ses photos et des textes que j’écris à partir d’elles. Inventer, réinventer de nouvelles manières entre nous, une priorité avec quelques autres amis s’il existe une volonté mutuelle. Comme planter des arbres.
Développer des façons de vivre l’amitié, c’est ce que nous faisons ici, Jacques et moi, en intriquant ses photos et des textes que j’écris à partir d’elles. Inventer, réinventer de nouvelles manières entre nous, une priorité avec quelques autres amis s’il existe une volonté mutuelle. Comme planter des arbres.